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Coronavirus : à quoi ressemblera le télétravail de demain ?

Publié le 16/09/2020 dans Revues de presse

La crise du Covid-19 et le confinement en ont accéléré l'usage, avec ses effets bénéfiques mais pas que... Point sur l'évolution du télétravail

L'effet papillon. Sur la toile, on a pu voir défiler beaucoup de parodies liées à la situation de crise dans laquelle le monde a basculé à compter du 17 mars. Parmi l'une des plus partagées, celle de la chauve-souris qui avait causé une pénurie de papier toilette en France. Si la caricature peut prêter à sourire, l'effet est un peu le même en ce qui concerne le télétravail, à ceci près que ses répercussions sont tout ce qu'il y a de plus sérieux. Réduction de la circulation, amélioration de la qualité de l'air après quelques jours seulement, croissance de la productivité au sein de l'entreprise, diminution du stress,...

 

Difficile donc de passer à côté de la réflexion globale quant au lien entre le fait de travailler depuis chez soi et l'impact sur la société et l'environnement. L'image du ricochet est très parlante : si l'on considère que le télétravail est la pierre qui rebondie sur l'eau, des cercles vont se former tout autour d'elle. À commencer par le plus proche, la poursuite de l'activité à distance. Si tous les secteurs ne sont pas "télétravaillables ", diverses entreprises se sont retrouvées devant le fait accompli, devant redoubler d'inventivité pour assurer une continuité. Que ce soit dans le public, le privé, de grosses boîtes ou du côté de TPE-PME.

 

Exit " la pollution intellectuelle "

 

Si Pôle emploi était déjà engagé dans une démarche assez prononcée avant le confinement ("j'avais 20 % de mon effectif en télétravail - contre 45 % depuis le confinement - depuis quatre ou cinq ans ", rappelle Ambroise Gagneuil, directeur de l'agence Galice à Aix-en-Provence), la solution technique demeure le nerf de la guerre. Avec l'arrivée du Covid-19 et des conséquences que l'on connaît tous, l'établissement public a développé trois types d'activités en télétravail : l'inscription des personnes et l'indemnisation "pour éviter toute rupture de paiement", la mise en place de 150 formations réalisables à distance dans différents secteurs et le suivi des demandeurs d'emploi en parallèle d'une proactivité communicative (envoi de courrier, coups de téléphone, etc.).

 

La façon de travailler depuis chez soi elle-même a changé avec la crise : "Avant, on s'occupait uniquement des personnes qu'on avait déjà en portefeuille, explique Magdalena Guilhou, conseillère dans la même agence depuis 4 ans, l'inscription se faisait obligatoirement avec une présence physique. Aujourd'hui, on peut faire tout ça par téléphone. Et, au final, les gens sont contents qu'on les appelle et diverses conversations s'engendrent..." Ces dernières semaines, le téléphone a effectué un retour en force. Alors que la dématérialisation prend de plus en plus de place dans nos vies (impôts, impression de timbres, banques en ligne, etc.), le simple fait d'avoir quelqu'un au bout du fil a considérablement regagné du terrain. Et permis d'entretenir ce lien social dont tout le monde parle tant. Si on en évoque la logistique, le télétravail est aussi une affaire de personnalité.

 

Et à ce jeu, les envies des uns ne sont pas forcément celles des autres. "Je suis un peu casanier, et dès qu'il s'agit de sortir de chez moi, je ne suis pas dans ma zone de confort ", reconnaît Quentin Latitte, la trentaine et geek dans l'âme.

 

Il travaille chez Fortil (entreprise de service du numérique) depuis février, SSII en contrat avec Atos (leader international de la transformation digitale) qui a elle-même un contrat avec Vinci autoroute. Son job ? Développer une application pour les hommes de maintenance des autoroutes qui leur permettra, à terme, de ne plus effectuer leur pointage sur une feuille de papier. Dans le jargon, Quentin est au " back end " donc. Et il adore travailler depuis son appartement. Déjà parce " je trouve qu'on est tout de suite d'attaque le matin, pas besoin de se soucier des embouteillages, de se demander si on a oublié quelque chose une fois dans la voiture, etc. Il y a moins de pollution intellectuelle."

 

Ensuite car "une fois la relation de confiance établie avec l'employeur, je peux ajuster mon temps comme je le souhaite, poursuit-il. Je me suis aussi rendu compte que j'arrivais à m'imposer un rythme qui me permet d'être productif tout en étant dans un environnement confortable." Et de nuancer : "Il faut toutefois savoir faire preuve d'une certaine maturité et de professionnalisme. Mais si à l'avenir on me donne le choix, je demanderai à faire plus de télétravail, c'est certain ! "

 

"On est un peu partout et nulle part à la fois..."

 

Sandrine Thil, elle, est responsable du service administratif et financier de la Scop Triangle, spécialisée dans le BTP à Gardanne. À ce poste depuis plus de trois ans, il lui arrivait de travailler "depuis la maison mais de façon exceptionnelle ". Les préjugés, comme quoi on peut paraître feignant si on demande à travailler à distance, elle ne les a jamais connus. " La confiance est actée depuis longtemps avec mon patron, argue la chef de service, lui travaillant déjà parfois à distance grâce a des connections de serveurs, comme certains conducteurs de travaux quand le besoin se faisait sentir. C'était donc déjà quelque chose qui existait chez nous. " Pour autant, "ce n'est pas vraiment dans mon fonctionnement d'officier de la sorte", pointe Sandrine Thil.

 

Son truc à elle, c'est de se confronter au terrain, d'être au contact "des gars de chantier. C'est quelque chose de très important pour moi." Une personnalité différente de Quentin donc, même si la maman à la tête d'une famille recomposée qui compte cinq enfants conservera quelques petites choses. Par exemple, l'accès à distance "au cas où j'aurais un souci de santé, je m'en servirai davantage. Mais pour moi, en étant à domicile, on est un peu partout et nulle part à la fois..."

 

À croire que le télétravail idéal ne serait qu'une question d'équilibre. Alors est-ce que la pratique de "l'après" se développera davantage ? Il est sans doute encore trop tôt pour le dire et "on ne remplacera jamais le contact humain ", rappelle Magdalena Guilhou.

 

Cependant, cette expérience "nous permettra sans doute de tous gagner en maturité, employés et employeurs confondus ", résume Tarik Chakor, maître de conférences en Sciences gestion à l'université Savoie-Mont-blanc. Quant à l'effet papillon engendré, "si chaque boîte développe un peu plus de télétravail, ou sensibilise davantage ses effectifs aux transports en commun par exemple, c'est peut-être de là que viendra l'amélioration sur notre société. Certains pays ont déjà décalé les heures de sortie de leurs écoles pour échelonner les embouteillages ", rapporte celui qui est aussi intervenant à Kedge business school Marseille. Il n'y a que le temps qui permettra de confirmer une tendance pour l'heure à la hausse.

 

Véronique Meyer, psychologue : pour gérer la solitude, il faut "être costaud psychologiquement"

 

Les séances en visioconférence, Véronique Meyer, psychologue clinicienne à Aix-en-Provence depuis une quinzaine d'années, ne les pratiquaient pas vraiment avant la crise liée au Coronavirus. "J'avais commencé avec une patiente qui habitait Londres mais c'était pour des raisons évidentes de distance...". Sauf qu'au vu de la situation, "j'envisage de basculer une partie de mon activité sur Skype et de maintenir l'autre en présentiel, reconnaît-elle. Ce confinement que nous avons vécu va nous faire évoluer dans tous les sens du terme, alors pourquoi ne pas appliquer cette méthode pour les personnes fatiguées ou plus âgées ? Cela pourrait leur permettre d'éviter un déplacement inutile".

 

Le département étant aujourd'hui devenu l'un des plus gros clusters du pays, la possibilité d'un second confinement est ancrée dans tous les esprits. Et d'après la psychologue, travailler en étant confiné, pour ceux qui partagent leur foyer avec leur entourage familial - ou amical - " cela peut prendre du temps pour trouver le bon rythme de travail mais c'est un processus qui apporte de la vie, de la gaîté. C'est plus compliqué pour les gens qui habitent seuls... " Et Véronique Meyer d'analyser : "Ne plus avoir le réseau social du bureau, surtout pour ceux qui misent beaucoup sur leur vie professionnelle, je pense que cela peut s'avérer très compliqué. Car pour télétravailler en habitant seul, il faut être costaud psychologiquement. Il faut une structure, être entouré, sortir le soir... Et ça, pour l'instant, ce n'est plus possible." 

 

Tarik Chakor, maître de conférences en sciences de gestion à l'université Savoie Mont Blanc et intervenant à Kedge Marseille : "Le culte du présentiel " aux oubliettes ?

 

Avant cette crise, ceux qui demandaient à télétravailler étaient parfois catalogués de "feignants". Ce préjugé sera-t-il amené à évoluer ?

Tarik Chakor : Je pense que ce que nous vivons va faire évoluer les mentalités. Souvent, les périodes de crises comme celles-là, par la force des choses, imposent de nouveaux modes de fonctionnement. Notamment vis-à-vis du "culte du présentiel". Grosso modo, cette idée que les salariés qu'on a sous sa responsabilité ont besoin d'être présents pour pouvoir les contrôler. On avait potentiellement tendance à suspecter ceux qui travaillent de chez eux de se prendre du bon temps en étant payés... De la part des managers mais aussi des autres travailleurs. Donc l'idée qu'il faut être visible pour abattre du travail va probablement évoluer.

 

On travaille plus ou moins de la maison ?

 

Tarik Chakor : Certaines études soulignent le fait qu'il y a une perception de la charge de travail plus importante en étant chez soi. On peut l'expliquer de différentes manières : on a plus de temps car on enlève celui du trajet. Mais il y a aussi le fait de s'imposer un rythme de travail tel qu'on l'a dans l'entreprise. Par exemple, vu qu'on est dans un certain confort, on ne prend pas forcément de pause déjeuner, ou le temps de boire un café, de fumer une cigarette. Et on se retrouve à être son pire manager. C'est bien là tout l'enjeu : réussir à s'imposer une certaine forme de discipline. Sans ça, l'individu peut vite devenir son propre gourou.

 

Autre effet constaté : on a tendance à vouloir prouver qu'on travaille... Pourquoi ?

 

Tarik Chakor : Le télétravail implique parfois de surjouer la présence : être connecté, répondre rapidement aux mails, au téléphone. C'est une stratégie d'affichage pour surcompenser qui peut être vecteur de stress. On essaie de compenser l'absence physique par de la présence virtuelle. Il faut garder à l'esprit que l'entreprise n'est pas seulement un lieu où on réalise une activité pour son employeur mais aussi un endroit de socialisation et de construction de son identité.

 

Entre le bureau et la maison, le rythme idéal, ce serait quoi ?

 

Tarik Chakor : Toutes les activités ne sont pas télétravaillables, comme tous les individus ne sont pas aptes ou n'ont pas l'envie de télétravailler, mais petit à petit on tend vers des formes hybrides de travail. On s'en rend compte avec la prolifération des espaces de coworking, l'évolution du travail nomade, des technologies, etc. Il y a de plus en plus d'études au niveau sociétal : par exemple ça devient une hérésie dans certains endroits de passer trois heures par jour dans les embouteillages. Sans oublier le stress accumulé avant même d'arriver au travail, notamment dans les transports en commun. Ces formes hybrides pourraient se matérialiser en deux, trois jours au bureau ou même ne serait-ce qu'une journée par semaine selon les secteurs parce que le besoin de se rencontrer demeure irremplaçable.

 

Donc vous pensez que cette période nous fera remettre en question notre façon de travailler ?

 

Tarik Chakor : Je pense que plus rien ne sera jamais comme avant. Il y aura forcément des entreprises qui reviendront à des organisations classiques mais comme on nous a mis devant le fait accompli, les mentalités vont évoluer. On va se rendre compte que l'entreprise, du moins en lien avec le télétravail, ne s'est pas effondrée... Je pense que c'est une pratique qui va se développer.

 

On dit souvent que pour comprendre une situation, il faut la vivre...

 

Tarik Chakor : Tout à fait. C'est le fait de se retrouver devant le fait accompli. On est confronté à cette réalité et quand on reviendra "à la normale", ça pourra permettre à des entreprises qui avaient, par exemple, des objectifs d'extension d'avoir un parc immobilier réduit en termes de coût à proprement parler : ils réaliseront sans doute qu'ils n'ont pas besoin de louer de nouveaux bureaux, etc. Au niveau de l'organisation, dès qu'une société peut être un peu plus sensible à ce que demandent les salariés, je pense que ça ne peut être que bénéfique pour tout le monde.

 

La notion de confiance employeur-employé pourrait-elle gagner du terrain ?

 

Tarik Chakor : On verra peut-être des modes de managements qui laisseront plus de place à la confiance et un peu moins au contrôle. Étant donné qu'on a constaté que les personnes à domicile ont "fait le job". Donc sans doute que oui. Entre guillemets, c'est la preuve de l'efficacité qui pourra rassurer les dirigeants. Ce qui pourrait nous permettre à tous de gagner en maturité.

 

Lire l'article sur le site de la Provence

 

16/09/2020